La succession de CDD avec un salarié pour remplacer des absents n’est pas en soi illégale

Selon la Cour de cassation, si la conclusion de contrats à durée déterminée successifs avec un salarié est uniquement motivée par le remplacement de salariés absents, cela ne caractérise pas un recours systématique à ces contrats pour pourvoir durablement un emploi durable lié à l’activité de l’entreprise. Une telle succession de contrats n’est donc pas en elle-même illégale.

La succession de CDD de remplacement ne doit pas répondre à besoin structurel de main d’œuvre…

La conclusion de contrats de travail à durée déterminée de remplacement successifs avec le même salarié est autorisée par l’article L 1244-1 du Code du travail. Elle ne connaît pas d’autre limite que celle résultant de l’article L 1242-1 du même Code, au terme duquel le contrat à durée déterminée ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

Afin  de définir cette limite, la chambre sociale de la Cour de cassation a employé dans arrêt du 26 janvier 2005 la notion de besoin structurel de main d’œuvre (Cass. soc. 26-1-2005 n° 02-45.342 FS-PBRI : RJS 4/05 n° 350 ; 11-10-2006 n° 05-42.632  F-PB : RJS 12/06 n° 1253). Ainsi, la requalification est encourue si les recrutements successifs répondent à un tel  besoin.

…mais elle peut avoir pour seul objet les remplacements successifs de salariés

A l’inverse, la requalification doit  être écartée si le recours aux CDD n’a pas d’autre but que les nécessités du remplacement (Cass. soc. 24-6-2015 n° 14-12.610 FS-PB : FRS 17/15 inf. 2 p. 4).

Au cas particulier, une cour d’appel avait accueilli la demande de requalification de 104 CDD de remplacement conclus avec un même salarié pendant trois ans, en énonçant que l’employeur disposait d’un nombre de salariés significatif, et était donc nécessairement confronté à des périodes de congés, maladie, stage, maternité impliquant un remplacement permanent de salariés absents. Elle avait jugé que les remplacements prévisibles et systématiques assurés par le salarié pendant trois ans constituaient un équivalent temps plein pour faire face à un besoin structurel de main d’œuvre.

Son arrêt est cassé par la Cour de cassation.

Selon la Haute Cour, le seul fait pour l’employeur, qui est tenu de garantir aux salariés le bénéfice des droits à congés maladie ou maternité, à congés payés ou repos que leur accorde la loi, de recourir à des CDD de remplacement de manière récurrente, voire permanente, ne saurait suffire à caractériser un recours systématique aux CDD pour faire face à un besoin structurel de main d’œuvre et pourvoir ainsi durablement un emploi durable lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

La cour de renvoi devra statuer par des motifs suffisants pour caractériser, au regard de la nature des emplois successifs occupés par le salarié et de la structure des effectifs de l’employeur, que les contrats successifs ont un tel objet. Elle devra rechercher par exemple dans l’identité totale des fonctions exercées ou l’absence d’interruption entre les remplacements les motifs d’une requalification des CDD  de remplacement en contrat à durée indéterminée. Il n’est pas exclu qu’elle se prononce dans le même sens que la première cour d’appel.

Une décision dans la ligne de la jurisprudence européenne

L’arrêt est rendu au visa des articles L 1242-1 précité du Code du travail et L 1242-2 du même Code, qui autorise la conclusion de CDD pour le remplacement d’un salarié en cas d’absence ou de suspension de son contrat, interprétés à la lumière de la clause 5, point 1, a) de l’accord-cadre européen sur le contrat de travail à durée déterminée du 18 mars 1999. Cette clause impose aux Etats de prévoir, afin de prévenir les abus, les raisons objectives justifiant le renouvellement des CDD. Dans sa décision, la Cour de cassation rappelle largement les termes d’un arrêt la Cour de justice de l’Union européenne relatif à l’interprétation de ce texte (CJUE 26-1-2012 aff. 586/10, 2e ch., Kücük : RJS 4/12 n° 400 et chronique J.-Ph. Lhernould). On peut penser qu’elle affirme ainsi sa volonté d’être en cohérence avec la jurisprudence européenne, sans pour autant que cela se traduise par un réel infléchissement de sa ligne jurisprudentielle.

A noter : dans cet arrêt, la juridiction européenne considère que le seul fait qu’un employeur soit obligé de recourir à des remplacements temporaires de manière récurrente, voire permanente, et que ces remplacements puissent également être couverts par l’embauche de salariés par contrats de travail à durée indéterminée n’implique pas l’absence d’une raison objective justifiant le renouvellement de CDD. Elle précise, dans les motifs de sa décision, que dans une administration disposant d’un effectif important, il est inévitable que des remplacements temporaires soient fréquemment nécessaires en raison, notamment, de l’indisponibilité d’employés bénéficiant de congés maladie ou maternité, de congés parentaux ou autres. Le remplacement temporaire de salariés dans ces circonstances est susceptible de constituer une raison objective justifiant tant le caractère déterminé de la durée des contrats conclus avec le personnel de remplacement que le renouvellement de ces contrats en fonction de la survenance des besoins.

 

Source : Editions Francis Lefebvre – La Quotidienne